ITW Jean-Pierre Siutat – Partie 1 : « Je suis un passionné de basket féminin »
En janvier 2017, B-Rise a rendez-vous au siège de la Fédération Française de Basket à Paris, dans le 13ème arrondissement. Dans son beau et spacieux bureau, le président Jean-Pierre Siutat accorde de son temps pour un entretien exceptionnel qui a duré près de 40 minutes. Retour notamment sur son travail au club de Tarbes, pour l’EuroBasket 1999, et à la LFB. Première partie.
B-Rise : Bonjour, M. Siutat. Je démarre cet entretien avec ma première question habituelle. Comment-avez-vous découvert le basket ?
Jean-Pierre Siutat : Je suis tombé dedans comme Obélix dans la marmite. Mes parents étaient enseignants. Mon père était directeur de collège. Je vivais dans un appartement de fonction dans le collège rural. Il y avait des panneaux de basket. Le dimanche, je traversais le collège et la cour d’école des filles pour aller à la messe. Et ça m’arrivait très souvent de sécher la messe pour aller jouer au basket avec des internes. J’avais des cousines qui m’avaient appris les premiers pas de cette discipline sportive. Dès l’âge de 5 ans, je me suis retrouvé dans une ambiance de basket.
B-Rise : Qu’en est-il précisément de votre pratique et du niveau maximum que vous avez atteint ?
JPS : J’ai joué en nationale 3. Je n’ai pas été un très grand joueur. Jeune, j’ai eu des problèmes de santé. J’étais asthmatique. J’ai été privé de jeu très tôt.
B-Rise : Vous avez joué dans quel club ?
JPS : J’ai joué d’abord dans le Lot à Duravel. Ce club est aussi celui d’Alain Jardel dont le père était le coach. Je suis parti ensuite à Lyon puis après Tarbes au TGB (Tarbes Gespe Bigorre) en Nationale 3.
B-Rise : Quel type de joueur étiez-vous ?
JPS : J’étais un scoreur, jouant au poste 5 avec ma taille modeste. Je courais assez vite puis aller contre-attaquer.
B-Rise : Des joueurs vous ont-ils donné envie de jouer ?
JPS : A l’époque, il y avait très peu de télévision. On avait très peu l’occasion de voir du basket de haut niveau. C’était dans les années 70-75-80. On a commencé un peu plus tard à s’intéresser à la NBA. Julius Erving était pour moi un joueur extraordinaire.
B-Rise : J’avance dans votre parcours. Vous avez crée le club de Tarbes en 1983. Quelles étaient vos motivations ?
JPS : A l’époque, le club masculin allait mourir. Le président avait eu un infarctus. On s’est retrouvé avec quelques jeunes en se disant ‘on ne va pas laisser tomber ce club’. On a organisé une fusion entre le club féminin et masculin. Ensemble, en 1983 on a crée le TGB qui signifiait à cette époque Tarbes Gespe Basket puis Tarbes Gespe Bigorre par la suite. Modeste joueur dans ce club, j’ai été trésorier aussi.
B-Rise : Vous entamez ensuite une carrière d’entraîneur de 1986 à 1995. Etait-ce logique après votre courte carrière de joueur ?
JPS : C’est pas ça. J’ai arrêté très vite de jouer. J’étais en bisbilles avec l’entraîneur de l’époque qui ne me faisait pas assez jouer. Je suis allé dans un petit club à coté, le club d’Ibos, tout petit village à côté de Tarbes. Je me suis retrouvé comme joueur et j’ai en même temps entraîné l’équipe des filles. Il n’y avait plus d’entraîneur. Cela m’a plu. J’ai eu des bons résultats avec cette équipe. Et lorsque je suis revenu au club de Tarbes, on m’a proposé d’entraîner l’équipe des filles. J’ai dit pourquoi pas. Je les ai prises en pré-régions puis on est monté tous les ans à l’étage supérieur.
B-Rise : Quel type de jeu prôniez-vous ?
JPS : J’ai été connu comme un stratège. J’ai une devise, je suis pragmatique. En fonction de l’adversaire, de l’équipe que j’avais, j’aimais bien les défenses combinées (junk defense), pourrir un peu l’équipe adverse, tout ce qui était les boites, les triangles. En attaque, on jouait un basket assez organisé. J’aimais bien cette construction. Je me suis toujours adapté en fonction des joueuses que j’avais.
B-Rise : Vous avez fait monter le club de Tarbes en NF1B en 1991. En 1992, vous êtes champion de NF1B puis vous montez en NF1A. Vous gagnez le Tournoi de la fédération en 1995. Vous remportez la Coupe L. Ronchetti en 1996 puis vous êtes élu meilleur entraîneur de NF1A en 1993. Comment expliquez la réussite fulgurante de Tarbes lors de votre passage ?
JPS : À l’époque, il n’y avait pas d’agents, d’internet. J’étais déjà dans la construction. J’allais chercher énormément d’informations. J’avais un caméscope à l’époque pour préparer mes choses. Je travaillais beaucoup, j’avais de la documentation. Je bûchais. Je construisais mes entraînements, mon plan de jeu. Je recrutais les joueuses qui permettaient à l’équipe de s’élever à chaque fois. On avait le droit chaque année à deux joueuses supplémentaires. Et j’ai toujours fait le bon choix. On est monté tous les ans. Puis il y a une part de chance et de travail. Il faut noter que j’étais trésorier du club, j’entraînais l’équipe réserve des jeunes. J’ai été responsable du marketing, chauffeur du bus et tout ça gratuitement. C’était que du bénévolat.
B-Rise : Au cours de cet entretien, je vais vous montrer plusieurs photos. Voici la première. Que cela vous rappelle-t-il ? (voir ci-dessous).
JPS : Ah c’était à Tarbes, lors de la finale retour en 1993 face à Challes-les-Eaux. Je me souviens très bien. C’était lors de la première manche de cette finale NF1A gagnée chez nous. (ndlr : victoire 2-1 pour Challes)
B-Rise : Parlez-moi de votre quotidien lors de ses années de coaching à Tarbes. A quoi ressemblaient vos journées ? Quel était le management de vos joueuses ? Comment gériez-vous les egos des joueuses qui auraient pu se plaindre de leur temps de jeu ?
JPS : Je travaillais comme ingénieur. J’entraînais entre 12h et 14h. Et je rentrais le soir à 20h. J’avais deux entraînements par jour. Le reste du temps, je travaillais. On a connu une blessure. Puis est arrivée une joueuse spectaculaire qui était Andrea Stinson. On l’a comparé à Michael Jordan. Elle faisait des « trucs » extraordinaires. Elle mettait des points, c’était fabuleux. Avec elle, on était sur une autre planète. On a pris confiance, j’ai orienté le jeu par rapport à elle. Elle ne défendait pas énormément mais c’était une énorme scoreuse. La WNBA n’existait pas encore. Avec Stinson, on s’est retrouvé à jouer les quarts, les demi et la finale. On était à chaque fois pas attendu mais on avait une équipe composée de joueuses locales et de bonnes étrangères. Il y avait une meneuse de jeu bulgare qui pouvait être une grosse scoreuse.
Ensuite, il n’y avait pas eu de problèmes dans cet effectif. C’était moins professionnel que par le passé. On jouait, on gagnait quasiment tous les matchs. Derrière, je me souviens, on allait au restaurant, en boîte de nuit. On se retrouvait chez moi pour manger avec toute l’équipe. A 5 heures du matin, c’était comme ça.
B-Rise : Sur l’aspect du coaching, y a t-il des coachs du passé ou actuels qui vous ont inspiré pour exercer ce métier ?
JPS : Oui mais pas d’entraîneur français. J’ai cherché mon inspiration dans des bouquins, sur ce que je lisais. C’était surtout des entraîneurs dans les universités américaines. J’avais sorti quelques défenses qui venaient des USA. Je mettais ce type de défense 1-2-2 avec un poste 4 devant. Ce type de système m’a permis de gagner des matchs.
B-Rise : Avez-vous le souvenir d’un pire déplacement avec Tarbes en tant que coach ? Un moment rocambolesque à nous faire partager ?
JPS : Tarbes était en Nationale 4 à l’époque, mon père était décédé avant notre prochain match. Et l’équipe avait dit qu’on allait gagner ce match en souvenir de mon père. Finalement, on a perdu cette rencontre. Ca m’avait beaucoup touché et on a gagné tous les autres matchs après.
B-Rise : Je continue de retracer votre parcours. Vous avez été aussi l’organisateur de l’EuroBasket masculin en 1999. Pouvez-vous revenir sur ce rôle que vous avez endossé ? Si je m’en rappelle bien, cela avait été une véritable réussite. C’était d’ailleurs la troisième organisation d’une telle compétition par la France.
JPS : Oui tout à fait. On avait organisé l’Euro en 1983. Une fois élu à la Fédération en 1996, le président Yvan Mainini à l’époque m’a dit que je m’occuperais de cette organisation. On pouvait faire quelque chose de très ambitieux. Il fallait aussi que la France se qualifie pour les JO de 2000. On a fait un « scénario » avec 7 sites pour accueillir les matchs (ndlr : Antibes, Clermont-Ferrand, Dijon, Le Mans, Paris, Pau et Toulouse) Il y avait énormément de personnes sur cette organisation. C’était un succès. On était sur les premières bases de l’Internet. On a constitué un dossier très très professionnel. On a rempli les salles, apporté de l’argent. C’était rare d’en faire sur une telle compétition. Je m’étais battu sur toutes les lignes du cahier des charges pour essayer d’en « gratter ». Cela a été une très belle réussite. J’étais le patron de l’organisation. Je me suis mis à disposition pendant 5 mois.
B-Rise : Je passe à une seconde photo. C’est le logo de la LFB (voir ci-dessous). Vous avez occupé les fonctions de président à la LFB de 2001 à 2008. Quel bilan dressez-vous sur ses années à la Ligue ? J’imagine que vous avez apporté bon nombre d améliorations.
JPS : Je suis un passionné de basket féminin. Quand j’ai arrêté d’entraîner, je suis resté très proche de ce basket. On m’avait proposé tout de suite de rentrer dans cette ligue en 1997. Or, j’étais occupé sur le dossier de l’Euro 1999. Je ne pouvais pas tout faire. Une fois l’Euro et les JO de 2000 terminés, la LFB n’était pas en grande forme. Il y avait que 11 clubs à l’époque. Les clubs n’étaient pas dans un projet de construction dirais-je. J’ai remis de l’ordre. On a professionnalisé tout cela en mettant en place un cahier des charges.
Je suis allé aux USA pour voir le fonctionnement de la WNBA, une des plus belles ligues du monde. A la suite de cela, j’ai crée deux choses qui me paraissait importantes : 1/ l’Open LFB, et 2/ L’association « Marraines de Cœur » qui permet d’identifier une joueuse professionnelle comme marraines. C’était une belle réussite. On est tombé au moment où certains clubs ont eu de bons résultats européens comme Bourges et Valenciennes. On a réussi un tour de force.
B-Rise : Je poursuis en avançant dans le temps. Vous êtes à la FFBB depuis novembre 2010. Quelles sont vos missions à la FFBB concrètement ? Quel bilan faites-vous depuis votre prise de fonction ?
JPS : On a une délégation ministérielle. Tous les 4 ans, on reçoit une délégation du ministère. On a deux grandes missions : 1/ préparer les équipes nationales afin qu’elles soient présentes aux compétitions internationales. 2/ animer nos territoires. Sur la première mission, j’ai souhaité avoir des médailles car on n’a jamais été gagnant. Il fallait absolument trouver des solutions pour rafler des médailles. On a eu de la réussite. On a mis en place une organisation autour de Vincent Collet, coach des garçons en A, puis de Pierre Vincent et maintenant Valérie Garnier pour les filles. Il y a eu une success story. On a obtenu 4 médailles à la fois pour les garçons et les filles en 5 ans. C’est pas mal. On note aussi deux qualifications pour les JO (2012 et 2016).
On a proposé un mode de management un peu différent. On a beaucoup progressé en termes de licenciés. Le nombre est passé de 450 000 à 640 000. On a organisé trois événements : l’Euro masculin 2015, l’Euro Féminin 2013 et TQO féminin 2016. C’étaient des grands succès. Je pense que depuis 6 ans, on vit une période extraordinaire du basket français.
Au quotidien, me concernant, j’essaie de gérer les dossiers. Je suis en relation avec les collectivités, l’Etat, les partenaires puis aussi avec les organismes internationaux. Je suis aussi membre de la FIBA Europe et du comité olympique.
B-Rise : Comme vous l’avez souligné, le nombre de licenciés à la FFBB est passé à plus de 640 000. Comment expliquez cette hausse tout en sachant que vous faîtes face à la concurrence des autres fédérations ?
JPS : 1/ Ce sont les résultats des équipes de France.
2 / C’est le bon travail avec les ligues nationales de Basket et la Ligue Féminine. Quand le haut niveau est en parfaite harmonie, cela produit une belle image. Il y a pas de raisons que cela ne fonctionne pas.
3/ C’est le fait d’avoir organisé des événements en France. Tous les ans, on fait des tournées de 2 équipes de France en France
4/ C’est tout le travail des clubs, des comités, des ligues. On a mis en place une nouvelle stratégie. Le travail amène le travail. On va stagner ensuite pour des raisons qu’on connait. On est au taquet en termes d’accueil. Mais on peut plus accueillir de gamins. Il faut créer de nouveaux clubs et c’est difficile.
B-Rise : Parmi ces licenciés, certains et certaines rêveraient d’effectuer une carrière pro, de revêtir le maillot de l’équipe de France. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes garçons et filles qui ont l’ambition de jouer au plus haut niveau ?
JPS : Tout est possible. Il faut avoir de l’ambition. Mais il ne faut pas sauter les étapes. On a une très très bonne formation en France : centre fédéral, clubs professionnels, centre de formation. Il faut avoir un peu de chance et beaucoup de travail. Ceux qui ont les aptitudes que ce soit filles ou garçons doivent les développer, travailler et aussi participer aux équipes de France jeunes. Puis tout est possible très sincèrement. Il faut croire en soi.
B-Rise : Depuis le début de cet interview, nous parlons de vos différents postes occupés dans le basket. Y a t-il des projets que vous n’avez pas encore réalisé dans ce sport ? Travailler pour la NBA, cela vous tente t-il ? Comment voyez-vous la suite des choses ?
JPS : Non pas du tout. Ma culture, c’est le service public. Je m’entends bien quand je cherche à servir les autres, mon sport. J’ai jamais cherché à faire une carrière professionnelle pour moi, que ce soit dans un poste à la Fédération Internationale, un poste d’une structure privée ou dans une Ligue. Ce n’est pas ma culture. Je suis là pour développer des projets avec le service public par rapport à des choses précises. La suite de ma carrière, je l’envisage dans le basket. J’ai 4 ans à faire avec beaucoup de chantiers sur lesquels on est engagé.
B-Rise : Je passe à une troisième photo (voir ci-dessous). Vous avez été décoré de la légion d’honneur en octobre 2013. Quel souvenir gardez-vous de ce moment avec l’ex-président français François Hollande ? On peut dire que c’est une belle histoire pour vous et que vous avez parcouru beaucoup de chemin jusqu’à recevoir cette distinction.
JPS : C’était sympa ce jour du 8 octobre 2013. J’étais très honoré d’avoir été décoré. Je ne sais pas d’où ça vient ni qui me l’a proposé. Ce n’est pas moi. Je suis pas du genre à pousser les murs pour moi. Je suis très honoré que quelqu’un ait pensé à moi. Est-ce mérité ou pas ? Je ne sais pas. Comme je l’ai dit, je suis là pour servir une cause, le basket. J’essaie de faire du mieux possible. Recevoir la légion d’honneur, c’est une chose. Et être décoré à l’Elysee par le président de la république, c’en est une autre. J’ai profité de ce moment pour inviter mes amis intimes, ma famille ainsi que des gens du basket qui sont proches pour que tous ensemble ont puisse participer à ce moment particulier. Pour la petite histoire, on rigole sur la photo avec le président. On s’était vu 8-10 jours avant, et l’Equipe de France était championne d’Europe. Le président l’avait reçue. Il m’avait reconnu. Il me dit ‘je vous vois souvent ici’. Et je lui ai dit que ‘la prochaine fois je lui piquerais sa place de président’ (sourire).
Retrouvez la seconde partie lundi prochain. Jean-Pierre Siutat nous a évoqués notamment la réussite des Equipes de France depuis quelques années, la NBA, la Pro A, ainsi que l’Euroligue. Stay Tuned.