ITW Jean-Pierre Siutat – Partie 2 : « On a des générations EDF qui sont « extra extraordinaires »
Suite aujourd’hui de l’entretien mené avec Jean-Pierre Siutat au sein de son bureau à la FFBB. Le natif de Cahors nous fait partager entre autres ses bons souvenirs de la balle orange et des différents générations qui se succèdent sous le maillot tricolore. Deuxième partie.
B-Rise : Je vais passer désormais à plusieurs souvenirs qui ont marqué le basket français. Il y a la médaille d’argent aux JO de Sydney en 2000. Sur cette photo (voir ci-dessous), on vous voit tout à droite. Quel souvenir vous gardez de cette médaille avec cette génération ?
Jean-Pierre Siutat : Aller aux Jeux Olympiques était je pense une récompense du travail bien fait. C’était mes premiers jeux. J’avais bossé comme une brute pour réaliser l’Euro 99. Ensuite, c’est super de vivre de l’intérieur les Jeux avec les deux équipes de France, hommes et femmes, de découvrir le haut niveau de cette manière. Ce n’était pas mon monde ce basket masculin. Moi, c’était plus le basket féminin. J’avais pris beaucoup de plaisir. J’ai gardé de très bons contacts avec tous ces joueurs français de 2000. J’en revois les 3/4 assez souvent.
On a eu une première semaine difficile, la deuxième a été magique. On a fait la cérémonie d’ouverture et celle de cloture. C’est toujours un moment émouvant de défiler. Et puis il y a cette finale. J’étais sur le banc de touche. On revient à quelques points des américains. J’ai vu d’ailleurs le dunk de Vince Carter sur Frédéric Weis. Ce sont de très bons souvenirs.
B-Rise : Avec le recul, qu’a t-il manqué à la France le jour de la finale pour aller chercher l’or olympique ?
JPS : Peut-être d’y croire un peu plus. Les Américains sont toujours comme ça. Quand ils ont de l’avance, ils sont hyper dominateur, intouchables. Quand ils sont un peu bousculés, ils sont plus fragiles. Le retour dans le match des Français a été extraordinaire. Il a manqué une ou deux possessions pour être à peu près à égalité. C’était tout à fait jouable. On le refait 10 fois, on a peut être une chance sur dix d’être si proche. C’était un grand moment. Je ne pense pas qu’on pouvait battre les Etats-Unis. Mais finir si près d’eux après ce qu’on a connu avant, c’est extraordinaire. Laurent Sciarra avait été fantastique.
B-Rise : Avant de débuter ce tournoi olympique à Sydney, quel était l’objectif de la France ? Le podium ?
JPS : Non. Pas du tout.
B-Rise : Vous vous êtes donc surpris vous-même en allant obtenir cette médaille d’argent ?
JPS : Complètement. On sortait d’un Euro 99 où on n’a pas été champion. Il y a eu des problèmes avec Tariq Abdul-Wahad. Ce n’était pas simple de se séparer d’un joueur cadre. Derrière, c’est l’inconnu. L’équipe de France n’a pas l’habitude de faire les JO. Elle a été en 1984 puis en 2000, c’était une grande découverte. Sur le tournoi à Sydney, on a connu des moments extraordinaires en battant le Canada. Face à la Chine, on est entrain de perdre à un moment du match contre elle puis on gagne car elle ne change pas de défense. Il y a eu plein de concours de circonstances.
B-Rise : Différentes générations en équipe de France se succèdent parfaitement que ce soit chez les hommes (celle de Sydney 2000, celle de Parker-Diaw-Piétrus ; celle de Batum-De Colo-Diot ; celle de Gobert-Fournier-Lauvergne) et les femmes (celle de Souvré-Sauret-Fijalkowski-Melain ; celle de Gruda-Dumerc-Yacoubou ; celle de Ayayi-Epoupa-Johannes-Tchatchouang). Avec toutes les médailles gagnées dans les compétitions internationales (Or à l’Euro 2009, argent à l’Euro 2013 et 2015 et bronze à l’Euro 2011 + argent aux JO 2012 chez les filles et les 4 médailles en 6 ans pour les hommes), comment expliquez-vous la réussite de cette formation et de ce travail minutieusement réalisé par la Fédération ?
JPS : Il y a un parcours d’excellence sportif qui a été mis en place il y a maintenant pas mal de temps et qui porte ses fruits. On a des générations qui sont « extra extraordinaires ». Ceux de Sciarra, Julian, Foirest, Abdul-Wahad and co ont été champions juniors en 1992 à Budapest, celle de Tony Parker, c’était en 2000 en Croatie. Et celle récemment des U18, vainqueur en 2016 avec Frank Ntilikina, on les retrouvera en 2024. Le centre fédéral, le système de détection, les centres de formation font du bon travail. On a la possibilité d’aller chercher des joueurs d’Outre-Mer, il ne faut pas l’oublier. On n’en a beaucoup, c’est une richesse fabuleuse. Y a plus de 60 millions d’habitants, on n’a pas besoin de tricher et d’aller chercher des joueurs naturalisés à tout bout de champ pour augmenter le niveau de l’équipe. On peut être optimiste pour l’avenir des filles et des garçons. On le voit avec les U18 récemment champions d’Europe, comme les filles dans cette même catégorie. On a des équipes qui tournent bien.
B-Rise : Comment jugez-vous l’évolution du basket masculin et féminin entre le moment ou vous avez joué, entrainé jusqu’à maintenant sur le plan technique et tactique ?
JPS : 1/ Il est beaucoup plus physique. Les gens font plus de préparation physique et individuelle. Ce sont devenus à la fois de bons athlètes et de bons basketteurs. 2 / Ce qui me plait un peu moins, c’est que le basket est devenu « américanisé ». On est sur de l’utilisation trop importante du pick n’roll et de l’exploit individuel. On est moins sur des séquences bien collectives que l’on retrouve que au très haut niveau en Europe. C’est-à-dire ce jeu pratiqué au sein des meilleures équipes européennes à la fois chez les garçons et chez les filles. Ensuite, sur ce que l’on retrouve sur les divisions inférieures, le championnat de France, c’est l’abus de certaines façons de jouer. C’est dommage, il faut s’habituer. Le basket est aussi beaucoup plus spectaculaire, physique avec beaucoup plus d’engagement que par le passé.
B-Rise : La Pro A a connu sur les 11 dernières années pratiquement plusieurs champions différents. Estimez-vous que c’est une bonne chose d’avoir cette homogénéité ou il est préférable comme par le passé que 3-4 mêmes clubs luttent pour le titre (comme ce fut le cas entre Pau, Limoges, Asvel, et Antibes) ?
JPS : C’est toujours un éternel débat. Si je dis que c’est bien qu’il y ait une homogénéité, ceux qui s’y opposent diront que ce n’est pas bien et vice versa. Je crois que c’est bien d’avoir des locomotives et qui en sont aussi en Europe. Autrefois, Orthez ou Bourges, Valenciennes, gagnaient sur le plan européen. D’avoir une équipe dominante mais qui gagne aussi en Europe, c’était très bien. Avoir une équipe qui domine en France mais pas en Europe serait très compliquée. Ca va vraiment montrer que le niveau est faible. Tandis que là, on a un niveau de Pro A assez homogène, et globalement avec des équipes qui font quelques perfs au niveau européen. On n’est pas loin du haut niveau. On n’a pas les mêmes moyens financiers. Ca montre qu’il y a de la densité, et qu’on a un championnat de France qui se tient chez les filles et les garçons. Compte tenu des contextes budgétaires, je préfère avoir un championnat beaucoup plus dense, homogène. Sauf qu’il y a trop d’étrangers je dirais. Il y a un problème de perte d’identité.
B-Rise : Vous parlez de cette perte d’identité, que faudrait-il faire alors ?
JPS : On est sur un sport comme tous les autres de niveau professionnel, qui s’internationalise. Dans le basket, il existe un pays dominant qu’est les Etats-Unis. Ils font venir tous les ans énormément de joueurs et de joueuses dans leurs clubs comme au rugby en France au contraire de nous en basket. La France est le pays qui reçoit les meilleurs joueurs dans le rugby. Les données ne sont pas les mêmes. C’est compliqué. Quand vous avez beaucoup de joueurs étrangers en France, ca vous nivelle des fois vers le haut, des fois vers le bas. On peut rien faire face à cette perte d’identité. C’et comme ça. C’est l’évolution.
B-Rise : Sur le plan européen, la France, globalement, a du mal à aller loin en Euroligue (Seul Pau a atteint en 2007 le Top 16 tout comme l’Asvel en 2003). A part cette problématique du budget pour attirer les tops joueurs, voyez-vous d’autres motifs pour expliquer ce parcours peu reluisant des clubs de Pro A ?
JPS : Non. Moi je crois que c’est le budget. Aujourd’hui, on a un savoir-faire en France. On n’est pas plus mauvais que les autres sur la structuration des clubs. La différence est budgétaire. On est condamné à aller chercher des joueurs pas connus. Parmi eux, certains à un moment se révèlent et deviennent les proies des gros clubs européens. On a cette capacité à révéler des talents. On n’a pas un modèle économique pour permettre de générer des gros budgets que ce soit chez les filles ou garçons, mis à part Bourges qui continue de progresser avec sa nouvelle salle. Derrière Bourges, on s’aperçoit que c’est plus difficile même si on veut être au même niveau que Galatasaray Istanbul, Fenerbahce, Ekaterinbourg… Les garçons, j’en parle même pas. Le budget moyen est de 5 millions d’euros. Pour être dans le Top 16, je pense qu’il faut en avoir entre 8 et 12. Dans le Top 8, c’est entre 15 et 20. Et après dans le Top 4, c’est 25 millions d’euros. Aujourd’hui, on ne peut pas. La différence est bien là.
B-Rise : Un mot sur le patrimoine du basket français. Certes il y a l’Espace Museal, le Musée du basket à Bondy. Que faire pour perpétuer l’histoire du basket français ? Avez-vous des projets pour rassembler toutes les infos sur l’histoire du basket comme le font déjà les Etats-Unis via leur site Basketball-Référence.com, ESPN.com les sites de la NBA et WNBA ? (Pro A, LFB, matchs de coupe d’europe, vidéos, liste de transferts, archives).
JPS : Notre fédération a un service patrimoine. On a une personne qui est archiviste. On est la seul Fédération à en avoir un avec Daniel Champsaur. Cette volonté, on l’a oui. Il y a tout un problème de moyens pour pouvoir faire beaucoup de choses à ce niveau-là. On essaie d’en faire. Depuis 2009, on a mis en place un observatoire qui permet d’avoir des informations sur tous les jeunes passés par les niveaux de formation et le secteur professionnel pour constater leur vraie évolution de vie. L’idée est d’aller chercher bien sur tout ce qu’on peut dans le temps. Après c’est un gros travail à effectuer.
B-Rise : A l’avenir, on peut s’attendre à centraliser tout plein de données en allant sur le site de la FFBB ?
JPS : Bien sur. Mais ca demande bien du travail.
B-Rise : J’en viens à la NBA. Vous m’avez parlé de Julius Erving tout à l’heure. Au-delà de Dr. J, quels sont vos autres souvenirs de la NBA ?
JPS : J’ai eu la chance d’assister au All-Star Game en 1993 sur place à Salt Lake City. Un gars qui a été invité n’a pas pu s’y rendre. Il m’avait laissé sa place. Entraineur de Tarbes, j’étais rentré de ce All-Star Game, j’avais ma casquette estampillée de ce All-Star, j’avais filmé ce match. C’est là qu’on avait fait les finales de playoffs avec Tarbes en championnat en 1993. Karl Malone et John Stockton étaient les co-MVP du match. Je me souviens d’avoir été dans l’hôtel des joueurs, de m’être retrouver nez à nez avec Charles Barkley. C’était assez marrant moi qui étais jeune coach de basket féminin.
Je me souviens d’être sorti de l’hôtel. Des gens étaient venus me voir en se disant que si moi j’étais là, c’était quelqu’un d’important. Ils sont venus m’interviewer en me demandant qui j’étais. J’ai dit que j’étais coach d’un club de basket féminin. Tout de suite, ils ont coupé les caméras (sourire). C’était un grand souvenir, mon premier grand souvenir de la NBA ce All-Star.
J’ai grandi à l’époque de tout ça. En 1992, j’ai été aux JO de Barcelone. J’ai vu la Dream Team des USA. J’ai vu tous les matchs. J’étais un passionné de cette génération de joueurs par le passé et celle d’avant avec Julius Erving, Moses Malone.
B-Rise : Hormis ce All-Star Game de 1993, y a-t-il la performance d’un joueur qui vous a marqué ainsi qu’un match de playoffs ?
JPS : Oui j’avais bien aimé tous ces matchs avec Isiah Thomas aux Détroit Pistons. Il s’était foulé la cheville et avait joué une finale où il a été fabuleux je me rappelle. Après évidemment, on retient les matchs de Michael Jordan. Je regardais tout ça. J’en manquais pas.
B-Rise : Supportiez-vous une équipe en particulier ?
JPS : Les Chicago Bulls des années 90. Puis j’aimais bien Larry Bird. Je suis parti voir l’ancienne salle des Celtics avant qu’elle ne soit détruite, le Boston Garden. J’ai eu l’occasion d’y aller. C’était un grand souvenir. J’aimais bien cette équipe de Boston avec Kevin Mchale, Robert Parish.
B-Rise : Vous parlez de Boston, c’est donc cette ancienne salle qui vous a la plus marquée sur place ?
JPS : Boston oui car c’était son parquet, son ambiance. Maintenant il y a des salles qui sont évidemment plus belles. J’adore le Staples Center de Los Angeles. J’y vais tous les ans dans la salle de San Antonio. Le Madison Square Garden refait, ca a de la “gueule”. Et celle aussi de Brooklyn, le Barclays Center. C’est des monuments toutes ces salles.
B-Rise : On parle des salles. On voit évidemment le fossé énorme entre les salles NBA, celles en Europe et en France. Que faire pour combler un peu ce retard ?
JPS : 1/ Il faut un modèle économique. 2/ Il faut des investisseurs. Si on permet à des investisseurs de financer des salles et de les exploiter de manière un peu différente, on pourrait peut-être en faire. On s’aperçoit après de la déficience qu’on a. La deuxième plus grande salle en France est celle de Pau, celle-ci est la 156ème capacité en Europe. D’autres salles ont été faites, l’Europe a aidé dans la construction de salles dans les pays les plus modestes dirais-je. Derrière l’Europe, c’est l’Allemagne et la France qui finance. On n’a pas de salles mais on finance celles des autres, ce qui est assez surprenant. On n’a pas besoin d’avoir des grandes salles partout mais oui au moins dans les grandes villes françaises puis au niveau européen : Paris, Lyon, Strasbourg et Marseille.
B-Rise : Y a-t-il des matchs marquants qui restent ancrer dans votre mémoire sur la scène européenne ?
JPS : Les Final Four d’Euroligue sont très bons. Je me souviens de celui de Berlin.
B-Rise : Quel serait le 5 majeur idéal NBA selon vous toutes générations confondues ?
JPS : Idéal je ne sais pas. Kevin Durant, Michael Jordan, Magic Johnson bien sur, Shaquille O’Neal et Kareem Abdul-Jabbar.
B-Rise : Même question pour le basket féminin ?
JPS : Teresa Edwards en meneuse, Diana Taurasi à l’arrière, Cheryl Miller en ailière, Katrina Mcclain en ailière et Lisa Leslie au poste 5.
B-Rise : J’en viens à ma dernière question. Quel serait le mot de la fin ?
JPS : C’était marrant de retrouver des photos du passé me concernant. Je pense que le basket français a des atouts pour continuer son développement. Ce qui est important, c’est de se souvenir du passé. Et c’est important pour construire le futur. C’était sympa cet entretien.
Un grand merci à Jean-Pierre Siutat d’avoir ouvert ses portes à B-Rise et pour ses réponses à mes questions.